Quels sont les condiments incontournables de votre placard ? Impossible de se passer de vinaigre et pour ma part de moutarde mais je vous conseille de laisser tomber les produits industriels au profit de produits issus de l’artisanat qui mettent en valeur notre terroir et notre savoir-faire. Vos papilles vous en seront reconnaissantes !
Ce qu’il faut savoir en préambule, c’est qu’Orléans a acquis ses lettres de noblesse en matière de vinaigres du fait de sa situation en bords de Loire. Depuis la renaissance, la ville d’Orléans a été un nœud logistique pour le transport du vin par voie fluviale depuis le sud et le centre de la France et elle était la dernière étape avant Paris. Le voyage étant très long, il arrivait que le vin dans ces barriques entamât une deuxième fermentation et donc devienne impropre à la consommation en tant que vin. Il était débarqué et mis de côté pour alimenter les 300 à 400 vinaigriers locaux qui produisaient 80% des vinaigres en France.
Lorsque j’ai découvert qu’il existait une moutarde artisanale à Orléans ma curiosité a été piquée ne connaissant que celle de Dijon…
Quel coup de cœur… et vous allez comprendre pourquoi après avoir lu l’interview que m’a accordé Paul-Olivier !
Allez ! je vous emmène à sa rencontre et à la découverte de la Maison Martin-Pouret – Maître vinaigrier depuis 1797 et de l’un de ses propriétaires Paul-Olivier Claudepierre.
Moi : Bonjour Paul-Olivier ! De quel univers viens-tu ?
Paul-Olivier : Je viens d’Alsace, un beau pays de la Gastronomie française. Mon cursus professionnel m’a fait voyager dans différents coins du globe comme le Danemark, différents pays d’Asie et l’Italie pour des grands groupes de l’agro-alimentaire comme le groupe Carlsberg et plus récemment le groupe Illy.
Moi : Qui a racheté Dammann Frères !
Paul-Olivier : Oui absolument qui est une très jolie marque de thés !
Moi : Ok mais comment es-tu arrivé chez Martin-Pouret et pourquoi ???
Paul-Olivier : En fait, c’est une combinaison de plusieurs choses : d’abord le désir de revenir en France et ensuite, tout au long de ma carrière, j’ai défendu des marques étrangères et j’avais envie de défendre des marques françaises et de préférence ma marque à moi plutôt que celles des autres !!!
Je me suis mis à la recherche d’une « belle endormie » ! (Sourire)
Moi : Quelle jolie expression !
Paul-Olivier : C’est vraiment çà ! Et pour tout te dire, j’ai fait le tour de la Grande Epicerie et du Bon Marché (magasins parisiens qui proposent des sélections haut de gamme dans l’univers de l’épicerie fine, ndlr), j’ai sélectionné des marques que je trouvais intéressantes et ensuite j’ai mandaté un cabinet spécialisé pour approcher les marques que j’avais identifiées et voir dans quelle mesure les sociétés seraient prêtes à ouvrir une discussion sur leur vente. Voilà et j’avais dans ma liste Martin-Pouret…
Moi : Mais c’était encore une affaire de famille ??
Paul-Olivier : Oui, ça a toujours été une affaire de famille puisque j’ai racheté à la famille Martin et plus précisément à la 6ème génération des Martin.
Maintenant que le décor est planté, j’ai voulu l’interroger comme vous pourriez le faire et j’espère que vous n’achèterez plus votre vinaigre et votre moutarde de la même façon…
Le vinaigre
Moi : Comment choisir un bon vinaigre ?
Paul-Olivier : C’est une excellente question ! (rire)
Tout d’abord, il faut s’assurer qu’il est fabriqué en France à partir d’ingrédients français.
Le second point est qu’il soit fait selon la méthode artisanale : c’est à dire une fabrication lente et naturelle et non pas selon une fabrication forcée de moins de 48h. Plus elle sera douce et avec un minimum de fermentation qui s’établit sur au moins 3 semaines ce qui est le standard d’un vinaigre de bonne qualité.
Le troisième critère est la couleur du vinaigre qui est un gage de qualité de l’ingrédient de base : le vin sélectionné.
Le dernier critère est l’organoleptique : il doit avoir un joli nez. Quand on sent un bon vinaigre, ce n’est pas l’acidité qui doit ressortir c’est sa palette aromatique. En bouche, on doit retrouver une acidité franche et équilibrée et surtout aromatique. Lorsque tu vas ouvrir la bouteille d’un vinaigre industriel, tu vas sentir l’odeur d’une acidité agressive générée par la fermentation forcée doublée de celle d’un vin de mauvaise qualité. En bref, tu dois pouvoir mettre une cuillère de vinaigre en bouche sans avoir le palais agressé par l’acidité qui te fera grimacer mais avoir une vraie longueur en bouche avec une vraie palette aromatique.
Moi : Comment guider un ou une néophyte pour associer son vinaigre à son plat, est-ce qu’il y a des critères de choix ?
Paul-Olivier : Tu sais que c’est une excellente question (rires) et ça me fait dire que ça serait peut-être un outil à mettre en place pour aider les clients à les utiliser…
Souvent, on nous dit que le produit est excellent mais comment l’utiliser ? Il est vrai qu’à moins d’être un cuisinier ou un amateur un peu éclairé ce n’est pas évident.
Moi : Ça serait intéressant de guider les gens pour les aider à sortir du vinaigre de vin rouge et d’un balsamique souvent mauvais.
Paul-Olivier : Oui tu as raison et parfois au fond d’un placard on retrouve un vieux vinaigre de Xérès acheté pour une recette précise et que les personnes n’utilisent plus du tout.
À la suite de notre interview, Paul-Olivier va lancer la réalisation d’une table de correspondance sans entrer dans le détail des recettes mais qui guidera par grande famille et par idées d’associations de saveurs.
Je ne manquerai pas de revenir vers vous dans un nouveau post lorsqu’elle vous sera accessible.
Paul-Olivier : Pour te répondre sommairement :
Le vinaigre le plus polyvalent est le vin rouge qu’on utilise pour types de salades. C’est le « 4×4 » de la maison (traduire par tout-terrain !)
Ensuite, plus tu vas aller vers les blancs, plus tu vas pouvoir les cuisiner : tu vas pouvoir les faire chauffer comme le poulet au vinaigre qui est une merveilleuse recette de nos grands-mères.
Une autre piste qui est intéressante est celle du vieillissement : dans notre gamme des vinaigres ont 9, 20, 50 ans d’âge que tu vas pouvoir marier à la perfection avec des poissons et des fruits de mer… Si tu mets 3 gouttes d’un vinaigre de 20 ans d’âge sur une huître aussi exceptionnelle que la Gillardeau … tu peux mourir (rires)
C’est toujours pareil, le “plus” gastronomique est apporté par la qualité des produits. Oui, tu peux déguster l’huître brute mais ces quelques gouttes vont apporter un truc fou à l’aspect iodé qui ne cachera pas son goût mais qui viendra la sublimer. Le mélange terre/mer est juste incroyable…
Moi : Tu viens de me mettre l’eau à la bouche et mes papilles en ébullition !!
Paul-Olivier : Après tu as tous les vinaigres aromatisés qui ont leur place autant sur des préparations salées mais aussi dans l’univers sucré. On oublie la capacité du vinaigre à accompagner des fruits comme des fraises de chez toi, gorgées de soleil et bien parfumées, tu ajoute une goutte de vinaigre de cranberries. C’est top !
Moi : Oui c’est une bonne idée comme autre alternative à ton vinaigre aux saveurs de coquelicot ! Et ta crème de vinaigre ??
Paul-Olivier : Oui bien sûr, hier une personne m’a préparé une Pavlova avec des petites meringues en incluant du fruit de la passion et de la crème de vinaigre d’agrumes… C’était génial ! Et encore une fois ce qui est intéressant avec le vinaigre c’est qu’en plus d’être un exhausteur de goût, il va venir équilibrer les préparations un peu « trop » … trop grasse, trop sucrée…
Pour conclure, aujourd’hui la méthode orléanaise est considérée comme la méthode absolue et équivalente à la méthode champenoise pour les vins effervescents.
La Moutarde
Moi : Quelle différence y-a-t-il entre la moutarde d’Orléans et la moutarde de Dijon ?
Paul-Olivier : Ah ahah (rires)! Pas facile mais je vais te donner la différence entre une bonne moutarde d’Orléans et une bonne moutarde de Dijon.
Il faut savoir que la moutarde de Dijon est travaillée à 90% avec des graines qui viennent du Canada et une grande partie est broyée industriellement.
Moi : Comme la maison Fallot (Dijon) qui travaille à la meule.
Paul-Olivier : Oui c’est une belle maison. Mais ils ont une grosse production et donc ils utilisent des graines importées en réservant la récolte française à certaines de leurs références. Mais ils travaillent très à l’ancienne.
Pour t’expliquer :
La première différence est que la moutarde de Dijon est travaillée avec le verjus des premières grappes de raisins très acides et impropres à la production de vin. La moutarde d’Orléans, elle, étant produite dans le centre névralgique du vinaigre, sera fabriquée avec du vinaigre.
La seconde différence se retrouve lors de la dégustation : la moutarde de Dijon sera, par définition, plus forte et montera plus au nez que la moutarde d’Orléans.
C’est le fruit du terroir : la graine de moutarde qui pousse en Bourgogne est une graine qui va contenir moins de gras, donc d’huile mais qui va contenir plus de piquant quand tu la mets en bouche et que tu l’écrases entre les dents…En revanche, une graine qui va pousser en Val de Loire, terre de la Beauce et grenier à blé de la France, très grasse et riche, donc naturellement, la graine va être beaucoup plus grasse et moins sur le piquant.
Et le 3eme élément, en tant qu’artisan, c’est le temps. Lorsque les graines sont broyées, on les laisse s’aérer pendant 3 semaines et c’est ce qui fait que lorsque tu vas ouvrir le pot, ce n’est pas le piquant qui viendra te monter au nez mais un piquant qui viendra mettre en valeur le produit.
La Maison Martin-Pouret & La gastronomie
Moi : Avec quels chefs travailles-tu ?
Paul-Olivier : On travaille avec quasiment un tiers des 3 étoiles dont les plus renommés comme Pierre Gagnaire.
On se rend compte que ce que les Chefs aiment le plus ce sont les produits bruts, typiquement nos vinaigres de vin rouge, le grand standard de la maison, parce qu’il est extrêmement aromatique mais aussi les vinaigres de vin blanc qu’ils vont pouvoir travailler eux même comme le Chef Christophe Hay, chef 2 étoiles, élu cuisinier de l’année en 2021 par le Gault & Millaut, le mélange avec de l’ail des ours en saison.
Moi : c’est une super idée ! Il va falloir que je me lance !
Paul-Olivier : En fait, tu fais comme un rhum arrangé mais avec ton vinaigre (rire). Ce qu’ils aiment aussi ce sont les vinaigres de cépages ou les vinaigres qui ont vieillis. Pour reparler de Pierre Gagnaire, il à la carte des restaurants parisiens notre vinaigre de 20 ans d’âge.
En moutarde, typiquement on est à l’Arpège (ndlr Restaurant 3 étoiles du Chef Alain Passard – Paris 7éme) … On a pas mal de chefs de toutes les générations qui aiment nos moutardes parce que comme tu le soulignais aussi, elles sont très élégantes et très équilibrées et en prenant nos produits ils s’assurent aussi qu’elles sont 100% françaises ! Et c’est quelque chose qu’ils apprécient de plus en plus.
Moi : C’est ce qui explique que la Maison Martin-Pouret ait obtenu le label Artisan de Qualité du Collège Culinaire de France.
Paul-Olivier : Oui le label du CCF mais aussi la label Origine France Garantie
Moi : Peux-tu partager des moments passés et qui te sont restés en mémoires avec des chefs ?
Paul-Olivier : J’étais au Japon pour présenter mes vinaigres à des Chefs japonais et une des questions d’un d’entre eux a été « Waouh ! Quand vous nous parlez de la fabrication du vinaigre, on se dit que c’est un métier extrêmement pointu et donc est ce que vous avez des écoles pour former des Maîtres Vinaigriers ? Je lui réponds que malheureusement non et il me demande combien de temps de temps il faut pour en former un ? Ma réponse a été : Combien de temps mettez-vous à former un Maître Sushis ? Lui me dit : Toute une vie… Eh bien voilà c’est la même chose pour un Maître Vinaigrier…
Moi : C’est comme la fabrication du saké, avant de trouver celui qui te fera LE saké, il faut du temps mais aussi de l’expérience, le palais et le talent comme pour un Maître de Chais dans l’univers viticole…
Paul-Olivier : Oui tout à fait c’est l’équivalent d’un maître vinaigrier.
Moi : Tu as rencontré Pierre Gagnaire notamment pour la sortie de ton 20 ans d’âge ?
Paul-Olivier : Oui et cette rencontre m’a bluffé par la poésie qu’il met pour parler du vinaigre : pour lui, l’acidité est l’une des saveurs et des sensations majeures dans la cuisine et surtout dans la cuisine moderne parce que c’est ce qui va te faire saliver et ce qui va rendre les choses beaucoup plus gaies, pétillantes et intéressantes. C’est, selon lui, ce qui va te permettre de te souvenir d’un plat. C’est à la fois un exhausteur et une saveur qui va équilibrer les « trop » : trop gras, le trop sucré…
J’ai aussi le souvenir d’un moment assez sympa avec le second du Ritz, à l’époque où ils cherchaient leur nouveau Chef. On a passé deux heures à déguster d’une vingtaine de vinaigres au point où l’un comme l’autre on avait la bouche complètement anesthésiée et ça s’est terminé par une longue séance de dégustation de spiritueux ! Une simple présentation de la Maison Martin-Pouret qui devait durer 20mn a duré à peu près 4h !
Moi : Et je ne te demanderai pas dans quel état tu es sorti !!!!!
Paul-Olivier (Rires) Mais c’était super parce que le cuisinier était passionné et il a découvert tout ce que le vinaigre pouvait apporter parce que tous les chefs n’ont pas forcément cette connaissance. Certains découvrent encore la complexité que peut apporter un vinaigre. Il y a encore un travail d’éducation.
Voilà ! Rattrapé par son rôle de PDG, j’ai dû prendre congé de Paul-Olivier et j’espère vous avoir donné envie de découvrir les beaux et bons produits que les artisans français proposent avec tellement de passion et de talent.
N’hésitez pas à partager vos expériences avec moi au travers et si vous êtes tenté(e)s de les acheter vous pouvez les retrouver sur https://gastronomaniak.club/